Le soir, dans les rues de Paris et dans l’amphithéâtre de Rohan

Un soir isolé dans Paris, à l’heure où Paris se vide de ceux qui n’y habitent pas, de ses travailleurs qui repartent vers la banlieue et où d’autres regagnent leur écurie bruyante et malodorante, je cherche une place dans une rue calme, silencieuse, du côté du marché des Blancs-Manteaux, juste à côté des têtes de bœuf en bronze de style assyrien du pavillon des viandes, je marche doucement, pas pressé, à un rythme incongru aux yeux de la ville ; il en faut plus pour m’impressionner.
Je passe par les petites rues du Marais que, décidément, je ne goûte pas spécialement. Tout y est artificiel, tout est décalé, ce Paris-là est décadent à mes yeux, il ne correspond pas à l’idée que je m’en fais. M’y promener me donne une mauvaise impression, comme dans tous ces quartiers à la mode, où l’argent a dénaturé l’esprit des lieux, mais ceci n’est pas mon problème, je ne suis pas d’ici.

Je m’assieds à la terrasse d’un café au bord de la rue de Rivoli, là où elle n’est pas le moins bruyante, rue du Bourg-Tibourg. Il fait chaud encore, et je regarde les femmes passer, les femmes exceptionnelles, improbables de Paris, les garçons qui se tiennent main dans la main, modèles déphasés sortis d’un magazine de mode, et puis d’autres femmes encore qui n’attendent qu’une seule chose, qu’on les regarde marcher avec leur cul qui balance tout en haut de talons aiguilles démesurés. Le serveur du café porte sur lui cette douce ambiguïté, il a des airs de Tom Waits, imberbe et maniéré, un sourire étrange figé sur les lèvres. Bière blanche et fumée de cigarette venant des tables d’à côté, je jette mes idées sur mon calepin avant de nettoyer les miettes et souffler sur mes mots.
Une abeille vient se poser sur le rebord de mon verre. Incongrue elle aussi. Et moi je sirote ma bière en savourant délicatement les premiers tournis de l’ivresse la plus légère qui soit. A ces terrasses de café on pourrait rester des jours sans qu’une femme nous aborde, ou alors par accident, îlot désert au beau milieu d’un océan de solitude, archipel où l’on parle espagnol et où l’on échange des sourires de chats.
Et voilà que je parle tout seul.

Deux barbons s’installent à deux pas de moi. L’un deux a le pantalon remonté jusqu’au nombril, il cherche dans les besaces qui lui servent de poches des billets qu’il finit par sortir en quantité impressionnante. Il a l’air saoul. On le serait à moins avec autant de coupures. L’autre aussi, mais tous les deux semblent tout droit sortis d’une salle de cours d’université. Le premier a des airs de Jankélévitch, avec une mèche sur le côté. Il porte une veste en tweed et des chaussettes blanches éclatantes sous son pantalon trop court. Sale trahison ; il a l’accent du sud.
Je me suis fait avoir pour l’happy hour, je paie la deuxième bière un euro de moins. Je suis arrivé à 18h55…
Il fait presque nuit et il est temps que j’aille m’abandonner aux bras d’Akkad et de Sumer.
PS : il y a mieux que le tchador, il y a l’homo. (note pour moi-même)
Au moment de partir, deux filles s’installent près de moi. L’une d’elle porte une robe rose très courte qui me laisse voir la courbe parfaite de ses cuisses, des cuisses claires, parfaitement épilées, luisantes comme si elle s’était enduite d’un onguent fleuri… Fraicheur absconse, je dois partir !
Au moment de partir, je me rends compte que je suis encore loin du Louvre. Je dois me dépêcher.
Je croise Viollet-le-Duc à l’angle de la mairie de Paris et je continue à courir pour ne pas arriver en retard.

Je remonte la rue Saint-Honoré que je n’aime pas. Je déteste son luxe ostentatoire et ses pantins décadents, ses petites connes en jeans serré et coiffures improbables qu’on voit sur le trottoir du Velvet bar. Je croise des flics qui regardent imperturbables une fille qui vomit sur le pavé. Rue de la Verrerie, je tombe sur un taré qui vitupère tout seul, ou alors contre un type d’une soixante d’années qui se pavane au bras d’un mannequin blond d’un autre monde, des yeux de chatte, des jambes immenses sur lequel est perché un échalas composé d’os et de quelques grammes de chair à peine masquée, un rien irréelle. J’espère que je ne finirais pas comme lui. Deux filles pique-niquent sur les marches d’une église dont je connais pas le nom, verres de vin et pâté sur du pain, je suis fatigué, je ne sais plus où je suis et je commence à m’énerver de ne pas retrouver la rue dans laquelle j’ai garé ma voiture. Ce Paris-là me dégoûte, j’ai envie de partir d’ici et de rejoindre ma banlieue. La prochaine fois, je n’irai pas dans le Marais, je resterai aux alentours du Louvre.

Tags: , ,

2 responses to “Le soir, dans les rues de Paris et dans l’amphithéâtre de Rohan”

  1. Liu says :

    J’aime bien comme tu écris.

    Paris, je ne connais que très peu, quand je m’y trouve, c’est souvent avec un itinéraire préparé et choisi. Je ne m’y sens pas à l’aise, je ne comprends pas la vie parisienne. La foule y est tellement indifférente et parfois grotesque. Je ne me plaît que dans les villes étrangères, celles où je me sens étrangère et qui me rappellent ma liberté.

  2. electrolotus says :

    Paris est une ville agréable et riche d’histoire, mais pas partout, et la Paris de la nuit a souvent un visage de vampire…

Leave a comment